5 décembre 2007

Au coeur du tourbillon - par Shaun Tomson

Le niveau de performance dans les vagues a énormément progressé ces dernières années grâce à un meilleur matériel. Les planches sont plus courtes, étroites, fines et ont du concave, ce qui permet au surfeur de partir incroyablement tard et toujours plus à l'intérieur de la section et avec une bien meilleure accélération. Les surfeurs surfent fréquemment le foam ball, ce tourbilon d'écue à l'intérieur du tube. Quand une vague s'enroule sur elle-même, l'écume est projetée en avant, vers la côte mais elle est aussi reprise dans le déferlement, à l'intérieur de la vague, formant ce tourbillon d'écume considéré comme l'endroit le plus à l'intérieur où un surfeur puisse aller. C'est un endroit pas comme les autres, vous êtes à la limite de perdre le contrôle de votre planche, vous glissez sur une mixture d'air et d'eau pendant que la lèvre jette devant son rideau d'eau qui semble s'enrouler au ralenti. Quant à la sortie, cette bouche de lumière qui brille au bout de la section, elle semble se rapprocher ou s'éloigner suivant votre vitesse. Mais les trajectoires qui sont tracées dans le tube ne diffèrent pas de celles que je traçais sur mon signle-fin à double concave en 1977. Ce qui a changé, c'est la vitesse. Les surfeurs passent plus vite dans le tube et pourtant il n'y a pas de nouvelles explorations. Du moins, c'est ce que j'ai toujours pensé. Mais après avoir parlé au King, il apparaît qu'il sait des choses que j'ignore.

Kelly Slater, le plus grand surfeur de tous les temps, a élevé le surf dans le tube. Avec son extrême assurance, son équilibre animal, son centre de gravité bas et sa connaissances des subtilités de l'eau en mouvement, il sort régulièrement de tubes considérés comme insurfables jusqu'alors. Il m'a récemment parlé d'un endroit dans le tube, un vide que peu ont exploré :

"Juste derrière le foam ball se trouve l'endroit ultime, une excavation où tombe la lèvre, une cachette au milieu du chaos. C'est difficile d'aller au-delà du tourbillon d'écume et de se stabiliser dans cet espace. Mais une fois calé, vous êtes sur des rails, en pilotage automatique, et il y a peu de choses à faire, c'est la vague qui vous tire à sa vitesse. J'ai l'impression d'avoir une corde attachée au nez de ma planche et qu'elle me tracte."


Comme tous les athlètes hyperdoués, il donne l'impression d'agir sans efforts, et peut-être que le secret de son succès est que son esprit traite les situations radicales de cette même façon détendue. Il évite de trop penser et laisse son instinct prendre les commandes.
Il me parla d'un des meilleurs tubes jamais vus en compétition, à Teahupoo, Tahiti, en 2005, celui qui le remit dans la course pour remporter son septième titre mondial :
"Cette vague à Teahupoo, un vrai truc de dingue. Je ne peux vraiment l'expliquer sinon que je la sentais, je la suivais sans y penser et sans me poser de question, mais par pur instinc animal. Mon surf dans le tube est une réaction immédiate aux éléments, sans trop réfléchir à comment tout cela fonctionne. En pleine action, je fais ce que je sens être la chose à faire, ce qui est nécessaire pour m'adapter à la situation."



(la séquence de Slater à Teahupoo en 2005 à partir de 2'08 dans cette vidéo)

Dans notre monde si complexe, nous sommes toujours à penser, calculer, analyser. C'est rassurant de savoir que, caché à l'intérieur d'une vague creuse, il y a un espace où l'on peut laisser nos instincts prendre le dessus, un lieu où on réagit plus qu'on ne prévoit. C'est un refuge rare quand on se déconnecte véritablement de la confusion du monde, de nos portables, nos lignes haut-débit et nos ordinateurs. C'est gratifiant de savoir que, pour nous surfeurs, le tube est un lieu de vraie liberté, un monde à nous, qui n'est pas régi par des règles artificielles, des scores, des plannings et des horaires. Un lieu où les sensations sont aiguisées, où l'immédiateté de la vie est mise en avant et où la seule chose qui compte c'est d'atteindre la lumière qui brille là devant, enveloppée par un tunnel d'eau en mouvement.

Traduction Pascal Dunoyer - Surfer's Journal 63 (version française)

1 commentaire:

Mardo a dit…

les deux derniers take off de la séquence video sont a couper le souffle!